Leur réputation les précède : goût immodéré pour la bagarre sanguinaire et les pillages d’abbayes, alcoolisation du matin au soir entretenant une perpétuelle envie de chercher des noises à la hache, invasions sans foi ni loi, pendaisons à la chaîne, autodafés, dégradations à l’envie de la gente féminine, statures de colosses prêts à trancher des têtes dès qu’une allusion est faite sur leur coupe palmier… Bref, les vikings avaient l’alcool mauvais. On se doute bien que les voir arriver sur leur drakkar noir, comme l’eau de toilette, devait parfois donner des envies de se faire hara-kiri. Pourtant, au-delà de Thor, Erik le Rouge, Ivar Ragnarsson, dit le « désossé », Sven à la barbe fourchue ou encore Gérard-le-Normand, les vikings n’ont pas été que des brutes incultes qui ne se lavaient jamais. Déjà, ils soignaient particulièrement leur apparence physique et se baignaient tous les samedis, ce qui, à l’époque, constituait une surconsommation d’eau frisant la coquetterie suspecte. Ensuite, le domaine des arts et des lettres n’étaient pas en reste, puisque les scandinaves avaient leur propre alphabet runique, et que la mythologie nordique constitue aujourd’hui encore une source littéraire d’importance. Ce n’est pas la Reine des Neiges qui dira le contraire. Enfin, ils ont installé, en bons marchands explorateurs, des comptoirs commerciaux dans toute l’Europe du Nord. Ce, sans porter de casques à cornes qui, avouons-le, peuvent être très sympas pour une soirée déguisée, mais absolument ridicules et non dissuasifs sur un champ de bataille.
On ne sait pas si Antoine et Matthieu Brivet, respectivement illustrateur et scénariste quand l’école est finie, ont eux aussi l’alcool mauvais, ou si le royaume d’Arendelle a donné envie à l’un de dessiner un bonhomme de neige à l’autre (oui, là, il faut avoir vu le film)… toujours est-il que c’est bien en terres vikings que leurs premiers albums à 4 mains nous mènent. Mais alors qui sont ces frères terribles rêvant encore, à l’âge adulte, de marins, de dragons, de pierres philosophales, de guerrières arabes, et de barbares rouquins? De grands gosses talentueux sûrement. Alors, même s’ils sont pour l’instant moins connus que les frères Bogdanov, Grimm ou Gallagher, ils ont l’air de savourer sobrement et sereinement leur jolie notoriété dans le monde de la BD… L’un habite Lentigny, l’autre Montbrison, mais n’hésitent pas à se retrouver souvent dans les hautes terres du grand nord…
Bonjour Antoine, bonjour Matthieu. Comment vous est venue cette passion commune pour la BD ?
Matthieu : petit, (je suis né en 76), je dessinais beaucoup, tout le temps. Une activité commune avec mon frère, né lui en 80, et héritée, peut-être, de notre grand-père peintre. Très vite aussi, je me suis mis à écrire des histoires. Je ne compte plus tous les manuscrits qu’il ne reste plus qu’à illustrer… Je n’ai fait une pause que pendant mes études.
Antoine : c’est vrai que j’ai vite rejoint Matthieu dans le dessin. Le dessin d’aventure surtout, puisqu’on baignait dans l’univers de Thorgal, Blue Berry, Herman, Astérix, ou de l’heroic fantasy. On jouait ensemble aux playmobils et, clairement, le slogan « en avant les histoires » était particulièrement vrai pour nous. Bref, on a les mêmes références, le même angle de vue, et une imagination fertile.
Pourtant, vous Matthieu, êtes professeur de physique-chimie, et vous Antoine, professeur des écoles. Vous n’avez jamais songé à faire de la BD votre métier ?
Matthieu : non, c’est trop difficile d’en vivre. Un scénariste doit mener 3 ou 4 projets de front pour assurer un niveau de vie minimal. Et nous sommes quand même dans le seul pays où les dédicaces ne sont pas payées. Quant à faire les deux, écrire et dessiner, c’est une trop grande responsabilité. Je voulais vraiment assurer mes arrières, et garder le côté « plaisir » de la BD. J’enseigne aujourd’hui à Boen et vis à Montbrison.
Antoine : moi j’ai pensé m’orienter vers une carrière artistique, j’ai d’ailleurs fait une première année de Beaux Arts à Lyon, mais j’ai trouvé l’enseignement beaucoup trop conceptuel. Et mes parents n’avaient pas les moyens de me faire faire une école de dessin. Alors j’ai passé une licence de physique-chimie, pour devenir professeur des écoles. Je vis à Lentilly et enseigne à Cordelle. Il n’existe pas de statut de dessinateur et il faut savoir qu’un tiers des auteurs vit sous le seuil de pauvreté. J’ai donc fait le choix de travailler à mi-temps en tant que prof pour pouvoir me consacrer sans trop de pression à ma passion. Quand une BD sort, il y a un an de travail derrière, et je vois trop mes collègues galérer pour boucler les fins de mois.
Quand avez-vous commencé à être édités ?
Matthieu : je suis véritablement rentré dans le monde de la BD avec notre projet commun « Harald et le trésor d’Ignir », publié chez Bamboo. On avait déjà travaillé ensemble sur un album d’heroic fantasy, mais il n’avait pas abouti, malgré des retours très positifs.
Antoine : j’ai commencé par des journaux étudiants teintés poésie/BD, puis j’ai été contacté par Sébastien Viozat pour « Tortuga ». Deux albums ont été édités chez Ankama, en 2010 et 2012. Ensuite, avec Fabrice Colin, nous avons signé 6 volumes de « Wonderpark » chez Nathan. J’ai travaillé sur d’autres titres chez Belin ou Sedrap. Et c’est en 2018 que nous avons été réunis, mon frère et moi, sur un même projet.
« Harald ou le trésor d’Ignir », donc, une mini série classée ado/jeunesse. Pourquoi avoir choisi le thème des vickings ?
Matthieu : parce qu’ils évoquent l’aventure et que c’est ça notre truc ! Je me suis beaucoup renseigné sur leur civilisation avant d’écrire, et j’ai découvert un peuple passionnant.
Antoine : oui, ils étaient, avec les arabes, au sommet de leur gloire entre le IXème et le Xème siècle. Tous les éléments étaient réunis pour une belle aventure BD : des vickings, un dragon, un trésor, une guerrière arabe. Bref, on s’est fait plaisir, et le 2ème tome sorti en janvier, a été un succès.
Quels sont vos projets pour la suite ?
Matthieu : je travaille actuellement avec un dessinateur stéphanois, en attendant la prochaine aventure avec mon frère, probablement orientée science fiction et intelligence artificielle. L’histoire est déjà écrite…
Antoine : c’est vrai, on y travaille. Par ailleurs, je me diversifie, je prépare 6 BD avec un autre auteur, et je fais des illustrations pour des magazines ou des romans. Le dessin jeunesse est mon univers, même si j’ai en tête un projet plus adulte, toujours avec mon frère. Je travaille beaucoup à l’Appart de Riorges, un espace ouvert aux artistes, qui permet de partager les moyens, les expériences. C’est un lieu d’émulation d’où il ne peut sortir que des bonnes choses…