C’est un endroit qui sent, tout à la fois, le résineux, le sentier sylvestre, la frondaison au vent, l’humus et la fleur de prairie. Un endroit où le petit peuple de la nature découvre ses vertus et nous en fait le don. Un endroit où, peut-être, un Narcisse côtoie une Belle-de-Nuit, où rien ne meurt, où tout se transforme. Un antre d’effluves essentielles, de lymphe boisée et de vapeurs odoriférantes. Où chaque inspiration est un appel de la forêt, et du bien-être inhalé. Un lieu de recueillement moderne et haut perché pour une déesse des floraisons oubliée. Cette Flore qui, pourtant, avait donné le miel aux hommes : « Le miel est un de mes présents ; c’est moi qui appelle, vers la violette et le cytise, et sur les branches touffues du thym, l’abeille qui donnera le miel ».
Depuis la nuit des temps, l’homme tente de maîtriser les odeurs. Y parvient même, par la sublimation, soit le passage direct d’un corps de l’état solide à l’état gazeux, déjà pratiquée au IIème millénaire avant J.C. par les Babyloniens. Plus tard apparaît le procédé de distillation, qui permet d’extraire de la matière végétale huiles essentielles et eaux florales. Les premiers textes évoquant leur usage datent de plus de 2800 ans. En pleine Antiquité, les Egyptiens en font usage pour la pharmacologie et l’embaumement, et utilisent pour ce faire la macération, l’enfleurage et les balbutiements de la distillation. Tout comme la Chine, l’Inde, le Moyen-Orient, la Grèce, l’Amérique ou encore l’Afrique. La phytothérapie, soit l’utilisation des plantes à des fins médicales, est une pratique commune à toutes les civilisations, mais c’est au chimiste René Maurice Gattefossé que nous devons l’avènement de l’aromathérapie moderne dans les années 1920. C’est en ayant le reflexe, lors d’une explosion de laboratoire, de plonger ses mains brûlées dans un récipient d’huile essentielle de lavande, que, immédiatement soulagé, il lui découvre des vertus insoupçonnées. Commencent alors des études bientôt relayées par des médecins, chercheurs et pharmaciens, qui entérinent l’inextinguible richesse de ces huiles.
Haut lieu de la transformation des plantes, Abiessence, du latin « abies » /sapin, est nichée en plein coeur des Monts du Forez, dans un écrin de verdure qui sied à sa mission. Productrice et distillatrice d’huiles essentielles et d’eaux florales biologiques, fabricante de cosmétiques naturels, l’entreprise florissante, le terme est à propos, nous a ouvert les portes sur ses courants d’airs parfumés. Comme un fleuron de notre paysage olfactif, elle trône, à 800 mètres d’altitude, et essaime alentours les graines d’un monde, enfin, responsable.
Une autre idée de la chimie
Né en 1973, Joël Ruiz est biochimiste de formation lorsqu’il décide, en 1999, de mettre son savoir au service des plantes. Cette région préservée du Massif Central lui inspire la valorisation biologique de la flore locale. Aidé de sa famille, il crée tout d’abord une distillerie à Saint Jean Soleymieux, pour y produire une gamme d’huiles essentielles et d’eaux florales issues de résineux ou de plantes cultivées sans produits chimiques, 100% pures et naturelles. Le ton est donné. En 2011, un incendie le fait s’installer dans un nouveau bâtiment orienté vers l’éco-construction à Verrières-en-Forez, dans lequel a lieu la distillation, la fabrication et le conditionnement des produits cosmétiques ainsi que les expéditions. Une boutique attenante vient valoriser tout le savoir-faire, qui derrière les murs, opère. Ce sont aujourd’hui 28 salariés, aux compétences multiples (bûcherons, techniciens qualité, animateurs commerciaux…), qui assurent le bon fonctionnement de cette ruche d’un genre nouveau. Deux autres sites ont été créés, la scierie de Gumières où sont débités les arbres, et l’entrepôt de Saint Anthême, où sont stockés la plaquette de chauffage et le bois énergie. En effet, Abiessence, qui cultive, distille et fabrique ses propres produits, participe également au développement local dans un cycle de production « zéro déchet ». L’équation est sans inconnue : 1 arbre-9 produits-0 déchet.
Merveilles de distillation
Toujours dans les Monts du Forez, Abiessence possède une dizaine d’hectares de parcelles destinées à la culture de plantes aromatiques certifiée agriculture biologique. De la toile tissée supplée au désherbage, et aucun pesticide n’intervient. Une vingtaine d’espèces sont cultivées, dont, pour la première fois en 2019, « grâce » au réchauffement climatique, du géranium et du romarin. La distillation des plantes aromatiques entières a lieu en juillet et en août. Le reste de l’année est consacré à celle des résineux, récoltés eux sur des parcelles locales privées ou publiques. Les branches et les aiguilles sont ainsi distillées, tandis que les déchets sont réutilisés. La distillation à la vapeur d’eau s’effectue dans deux alambics en inox de 1000 L chacun. Un bain marie est chauffé par une chaudière alimentée en plaquettes de bois. La vapeur générée traverse le panier à plantes dans l’alambic pour se charger en molécules aromatiques. Ensuite conduite dans un serpentin qui traverse une cuve remplie d’eau froide, la vapeur va se condenser et retrouver son état liquide. C’est alors dans le vase Florentin, ou essencier, que sont recueillies l’eau florale et l’huile essentielle. Cette dernière étant plus légère, elle reste en surface et est donc facilement différenciable. Lors d’une distillation, 2% d’huile essentielle, aux concentrés d’actifs végétaux aromatiques très puissants, sont obtenus, contre 98% d’eau florale, ou vapeur d’eau recondensée, qui contient les composants aromatiques des huiles essentielles en faible quantité.
Une histoire en marche
La boutique est alimentée par le laboratoire attenant, où sont fabriqués et conditionnés les produits. Outre les huiles essentielles et eaux florales, Abiessence propose parfums, savons, diffuseurs, cosmétiques, produits d’entretien, confiseries, sirops, etc. Des formations et ateliers d’aromathérapie sont régulièrement organisés, pour que tous puissent s’initier à la chimie aromatique et à la technologie végétale. Dans ce cercle vertueux, les projets ne manquent pas pour s’approcher de la prouesse écologique : serre ossature bois, séchoir, ou encore création d’un sentier botanique. Une confiserie devrait également voir le jour pour développer un pôle alimentaire porteur d’énergies nouvelles. Si d’autres ont parfois tenté, pour maîtriser le coeur des hommes, de créer le parfum absolu, celui qui met tout le monde d’accord, Abiessence, sans viser l’Ambroisie, cette nourriture des Dieux source d’immortalité, oeuvre tous les jours pour créer des essences absolues qui sont elles, source de vie.
Montgenest, 42600 Verrières en Forez
04 77 76 58 85