J’avais une question pour ce titre : doit-on préciser handisport ou « basketteuse » se suffit-il à lui même ? Va-t-on parler avec une sportive de haut niveau ou avec une personne à mobilité réduite, comme le veut la formule ? A vrai dire, dans son cas, les deux sont indissociables et j’ai pensé que j’allais, surtout, parler à une femme. Parce que voilà ce qui la caractérise le plus. Deux chromosomes X sur la 23ème paire. Un bassin adapté à l’accouchement. Une meilleure sensibilité olfactive que son congénère mâle. De meilleures aptitudes psychomotrices pour un système pileux et une masse musculaire moins développés. Ceci étant dit, on ne va pas se le cacher, le fait que sa bipédie se soit retrouvée littéralement assise sur un fauteuil, soit que « son aptitude à marcher sur ses deux pieds » n’appartienne un jour qu’à son passé, a forcément conditionné sa construction. On pourrait faire comme si de rien, mais, serions nous là à vous parler d’elle si un accident n’avait pas envoyé valser ses rêves adolescents ? Aurait-elle été meilleure ou pire ? Serait-elle devenue une athlète ? Une femme résiliente, du latin « resilio-ire » ou sauter en arrière, qui a su transformer une torgnole du sort en positivité sur le ring ? Serait-elle allée jusqu’aux JO de Rio si elle était devenue, comme son jeune esprit l’avait prévu, chorégraphe ou paysagiste ? Peut-être que non. Alors, sans vouloir verser dans le « à toute chose malheur est bon », ou faire du traumatisme initial un tunnel mystique pour voir la lumière, force est de constater que ce drame a été, pour elle, un ascenseur pour le dépassement de soi. Disons que le temps des lamentations ne lui a pas fait long feu. Bien sûr, elle s’est dit « pourquoi moi ? ». Comme Héphaïstos en son temps, que sa mère a précipité à peine né du haut de l’Olympe. Il n’est pas sorti indemne de sa chute, mais a fini Dieu du feu et des forgerons. Et Hermaphrodite, on en parle d’Hermaphrodite? Homme et femme à la fois, soit totalement monstrueux dans la Grèce Antique, il a pourtant été une terrible bombasse vouée à tous les cultes.
Longtemps, le handicap a été associé à l’impureté, la bonne vieille faute, imputé à la colère des Dieux, puis synonyme d’indigence ou de marginalité. Aujourd’hui, la culture de l’exclusion est à peu près terminée et Perrine Coste l’a vécu comme une épreuve qu’elle s’est empressée de surmonter. Jusqu’à l’ovation et la consécration. C’est une femme discrète, mais une femme d’apothéose. Pas une femme alpha, elle s’en garde bien, mais, quoi qu’elle en dise, un exemple. Un exemple de femme. Et moi, qui suis loin d’en être un, j’aime voir ce que ça donne de près.
Bonjour Perrine, tu dégages beaucoup de confiance en la vie, de sérénité… d’où viennent-t-elles ?
De mon enfance sûrement, à Pouilly-Les-Nonains, de ma famille et de l’amour que j’ai reçu. J’ai 3 frères et soeurs avec lesquels je suis très soudée. Mes parents ont réussi à construire une famille unie et nous ont toujours appris à voir le verre à moitié plein.
Quelle enfant étais-tu ?
Sportive et casse-cou ! Mes parents l’étaient aussi, sans être des compétiteurs. Ils nous ont donné le goût de l’exercice, de la nature. J’étais joyeuse, toujours en mouvement. Avant l’accident, je pratiquais entre autres la danse moderne et le volley.
Tu avais une idée de ce que tu voulais faire à l’âge adulte ?
Oui, je me serais bien vue chorégraphe, ou paysagiste… car j’adorais grimper partout, et être en extérieur.
L’accident de mobylette à 15 ans, qui t’a enlevé l’usage de tes jambes, comment l’as-tu surmonté ?
J’ai passé six mois à Lyon, en centre de rééducation pour ado-adultes, où j’ai été confrontée à des handicaps ou des pathologies bien pires. Bien sûr, il a fallu me reconstruire, et les échanges là-bas m’ont beaucoup apporté. Cet accident a bousculé plein de choses dans mon entourage mais au final, il nous a soudé encore davantage et a poussé tout le monde à se dépasser, pas seulement moi.
De retour chez toi, tu as repris ta vie là où tu l’avais laissée ?
Oui, la vie ne pouvait pas s’arrêter ! Je suis retournée au Lycée, plus mature par la force des choses, et bien entourée par mes amis. J’ai cherché très vite à être indépendante, j’ai passé mon permis et je suis partie à Lyon pour mes études. Puis je suis rentrée en Banque, au service international.
Et le sport dans tout çà ?
Ca a toujours été un moteur. Assez vite, il a fallu que je retrouve la sensation de dépense physique. J’ai commencé par la natation, puis le tennis. C’est en 2003 qu’un copain du centre de rééducation m’a convaincue d’essayer le basket. C’est là que j’ai eu le plus de courbatures, et le plus de sensations ! Six mois plus tard, j’ai commencé à faire quelques stages de détection en équipe de France féminine.
Comment se sont enchaînées les choses ?
J’ai intégré en 2005 le Club Handisport Forézien, un club mixte dont je suis aujourd’hui la capitaine. J’ai continué pendant quelques années les stages en équipe de France mais j’avais une vie privée à privilégier alors je suivais tout ça de loin… Il faut savoir que travailler à plein temps et s’entraîner pour des compétitions ne laisse de temps pour rien d’autre… En 2012, j’ai fait un break d’un an pendant lequel j’ai préparé un CAP de fleuriste. Ca m’a recentrée sur moi-même et permis de faire d’autres rencontres. De retour à Lyon, j’ai repris un temps partiel à la Banque…
Pour préparer les Jeux Paralympiques de Rio ?
Entre autres, oui, j’avais plus de temps, plus de recul et la sélection était rouverte. J’étais mûre pour aborder les choses autrement. J’ai été sélectionnée en 2013. L’équipe s’est qualifiée en 2015 en Angleterre et, pour la première fois de l’histoire, les 12 joueuses ont pu obtenir un statut d’athlète de haut niveau. C’était parti pour Rio…
Quels souvenirs en gardes-tu ?
En amont, ça signifie d’abord beaucoup de sacrifices. Moi qui adore tester les sports « à risques », comme le ski ou le wakeboard, j’ai dû tout mettre de côté pendant 4 ans. Au delà de la préparation physique assez évidente, la préparation mentale est colossale car une fois sur place, la pression médiatique est déstabilisante et l’émotion très forte. On se retrouve pendant 3 semaines dans un village de 4000 athlètes, et seule compte la performance sportive. Faire les JO n’était pas un rêve d’enfant mais une fois là-bas, disons qu’on se prend totalement au jeu ! Et voilà… on est arrivées jusqu’en demi finale et on a perdu contre le Brésil.
Et l’après ?
C’est une expérience unique qui a été très fédératrice au sein de mon équipe forézienne. Ma direction en local m’a apporté aussi un grand soutien. C’était à vivre, vraiment. Mais j’ai depuis arrêté l’équipe de France, j’avais fait le tour….Mon goût pour les voyages et les sports extrêmes était devenu plus fort. J’adore partir à l’aventure, aussi bien seule qu’accompagnée. Je joue toujours au Club Handisport Forézien, dans lequel nous sommes 2 femmes cette année. Je suis capitaine depuis 3 ans et j’apprends à être plus à l’écoute de mes coéquipiers, à trouver les mots pour les accompagner au mieux dans la victoire comme dans la défaite, pour grandir ensemble.
Tu es donc bien un exemple à suivre !
L’important c’est de faire ce qu’on veut de sa liberté. Et en tant que femme, c’est parfois doublement compliqué, alors en tant que femme handicapée… La performance passe par l’entraînement mais également par l’achat de matériel très coûteux. Des résultats ont été obtenus sur les dix dernières années. Malgré tout, notre voix de basketteuse handisport n’est pas entendue. Parler de moi n’a jamais été un exercice facile mais il y a un message à faire passer. J’aimerais que les choses soient plus simples pour les générations à venir. Et qu’on arrête de cantonner les personnes en situation de handicap à des professions administratives, ou de les considérer comme forcément dépendantes. Je suis partie seule en Australie, au Mexique… Certes, il faut anticiper davantage, mais quand l’envie est là, on va où on veut. Je n’aime pas trop entendre parler d’impossible. S’il existait un billet pour Mars, je le prendrais.
Club Handisport Forézien, Feurs
04 77 55 23 86